Ryan Kernoa • Les sifflantes en résidence - CERC

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Lundi 23 septembre 2024 à 08h00

Lieu

Hédas

« Les contemplatifs, quels qu’ils soient, peuvent être des poètes connus comme tels, mais ça peut être aussi un plâtrier en train de siffler comme un merle dans une pièce vide (…) »
Christian Bobin dans Le plâtrier siffleur. Ed. Poesis.

Depuis quelques années maintenant, je siffle dans le cadre de performances qui ont lieu in situ dans des espaces naturels. Au départ par jeu, j’imite le sifflement des feedbacks de guitare ou de micro amplifié, je les module, je les transforme puis je les mets en relation avec les paysages sonores dans lesquels je performe. C’est un travail sur l’insertion dans le paysage et la relation avec celui-ci, l’écoute, l’espace et le temps mais aussi les correspondances et les coïncidences sonores avec les sons d’oiseaux, les réverbérations, les bruissements végétaux, le vent, etc. Un larsen aigu de guitare est un son dur et menaçant, qui peut blesser l’oreille. Quand je l’imite en sifflant, que je reproduis la même fréquence, je produis a contrario un son tenu très doux, une sinusoïde pure. Cette pratique m’oblige à reprendre ma respiration, la musique qui en résulte est entrecoupée de silence, l’espace peut résonner entre et autour chaque sifflement. Cette musique implique tout mon corps, mon souffle et tout l’espace autour. C’est une pratique pauvre au sens poétique du terme et radicale dans le sens où elle interroge ce qui précède la musique, ce moment flou où cohabitent la communication sonore et la musique. Lorsque j’ai découvert la langue sifflée des bergers d’Aas, je me suis réjoui de cette coïncidence avec ma pratique, vivant sur le même territoire que ceux qui l’ont pratiqué mais n’étant pas originaire de celui-ci. J’ai découvert cette langue sifflée et je l’ai étudiée, elle est un codage du béarnais, de l’occitan, pour communiquer à longues distances. On ne connait pas vraiment l’origine de cette pratique mais elle a existé longtemps de ce côté ci de la vallée d’Ossau. Elle est un travail de substitution des voyelles et des consonnes des mots par des sifflements. L’interlocution débute toujours par un appel, une interpellation. Je ne parle pas occitan et je ne sais pas siffler avec cette technique qui s’aide d’un doigt ou de deux et qui permet de siffler très fort et communiquer ainsi d’un mont à l’autre. Aussi, je me suis mis dans la position de l’étranger, sinon du novice, qui arrive dans cette vallée et entendrait ces sifflements échangés, leur résonance, leur cohabitation avec le paysage. Que perçoit-il ? Qu’entend-il au juste alors qu’il ne peut pas décoder les messages ? Qu’imagine-t-il ? Est-il perceptible qu’il s’agit de sifflements humains ? Quelle ambigüité ressent-il ? Des chants d’oiseaux ? Des scansions de rapaces ou de marmottes ? Quel jeu cela produit dans l’oreille de celui qui écoute ? Quel signal reçoit-il ? Quels affects ? Quelle musique ? Et, in fine, va-t-il essayer d’intervenir ? De jouer ?
A partir de cette position de l’étranger qui écoute, qui découvre, spécule et imagine, j’ai proposé à CERC de travailler sur cette image, sur la relation entre cette pratique vivante, toujours enseignée, et cette mémoire sonore de la vallée.
Ryan Kernoa

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